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  • Anatomie de la consultation de voyage

  • La médecine des voyages est une discipline médicale récente qui a émergé il y a une trentaine d’années pour faire face aux besoins grandissants liés à l’expansion brutale des voyages internationaux 1. Son champ d’action est principalement la prévention, ce qui la fait entrer dans ce vaste domaine malheureusement négligé en France qu’est l’éducation à la santé.

    Les voyages internationaux :   Une grande diversité  

    Les voyages ont une typologie très diverse allant du « tourisme », au sens classique du terme (voyage d’agrément), qui représente le plus gros contingent, avec des séjours de 10 à 15 jours en moyenne, au voyage professionnel (séjour habituellement bref en milieu urbain mais pouvant être beaucoup plus exposé dans certaines situations), sans oublier les migrations dans le sens sud-nord, mais aussi nord-sud  (2 millions de Français vivent à l’étranger, dont beaucoup dans des pays « tropicaux »), ou les voyages au long cours (expatriation professionnelle parfois en milieu très exposé, tours du monde, etc.) 2,3. Le profil des voyageurs est également très variable et a beaucoup évolué dans le temps.   A côté de l’adulte jeune avec un bon niveau d’éducation, incarnation classique du « voyageur », la démocratisation du voyage met sur les routes de plus en plus de personnes plus ou moins à risque de par leur âge (enfants, voire nourrissons, seniors parfois du quatrième âge), leurs problèmes de santé sous-jacents, leur motivation (humanitaires, pèlerins, voyageurs sportifs, voire sportifs de l’extrême), leur (absence de) culture du voyage (certains partent sans savoir où ils vont !), et… leurs moyens financiers (le « routard » de 20 ans peu argenté ne pourra pas bénéficier d’autant de prévention qu’un retraité, alors même qu’il fera volontiers un voyage plus à risque).  Si la plupart de ces voyages se passent bien avec peu d’événements de santé graves, des études ont montré néanmoins que, par exemple, la sensation d’être malade est exprimée par 60 à 80% des voyageurs, qu’une diarrhée (la fameuse turista) est observée dans près de 50% des cas ou que le risque de paludisme en Afrique de l’Ouest peut atteindre 2 à 3% par mois d’exposition4. Ces risques sont cependant très variables d’un voyage à l’autre : ainsi le risque de paludisme est environ 100 fois plus important entre l’Asie et l’Afrique sub-saharienne. Ce qui justifie une adaptation du discours préventif.        

    La pédagogie en consultation du voyage : une forêt vierge      

    Cette diversité dans la typologie des voyages, des voyageurs et des risques explique que la consultation de prévention est en fait un acte médical complexe qui, s’il ne doit pas forcément être réalisé par des spécialistes (centres de conseils aux voyageurs et de vaccinations internationales), qui ne pourraient de toute façon pas répondre à la demande, se doit de répondre le mieux possible aux besoins des voyageurs et à leurs spécificités en se basant sur un bon équilibre entre bénéfice et contraintes. Si on prend en compte la dimension subjective liée notamment  à l’insouciance ou, à l’inverse, aux craintes souvent irraisonnées des voyageurs (et souvent des « conseilleurs »), ou aux changements souvent imprévisibles des comportements lors d’un séjour « exotique », on mesure toute l’importance de la qualité pédagogique que doit avoir une consultation du voyage (au même titre que tout acte d’éducation à la santé). Pourtant et paradoxalement, la formation sur ces aspects est très limitée dans les études médicales et paramédicales (tout particulièrement dans la prévention « primaire ») et il n’y a pratiquement pas d’études qui ont spécifiquement évalué telle ou telle stratégie pédagogique5,6. Si la formation des professionnels de la santé en voyage est bien structurée sur les aspects « techniques », elle n’aborde que très rarement les aspects pédagogiques, même dans le cadre de la formation continue. De même, les évaluations d’impact des consultations du voyage se limitent trop souvent aux acquis techniques des professionnels, rarement à ceux des « conseillés » et jamais sur le moyen/long terme alors que c’est le seul moyen d’évaluer correctement l’efficacité d’un acte de prévention7-1 2. Il en résulte que, même si c’est difficile à affirmer faute d’étude ad hoc, beaucoup de consultations du voyage sont peu, voire totalement inefficaces car pas adaptées à la spécificité du voyageur et/ou du voyage et/ou des risques. Quelques études ont d’ailleurs bien souligné l’insatisfaction des voyageurs vis-à-vis de la qualité des conseils jugés inadaptés ou imprécis13,14.        

    Les modèles explicatifs de l’impact des conseils en santé      

    Plusieurs modèles, complémentaires et se superposant en partie, peuvent être utilisés pour expliquer la variabilité de l’efficacité d’un conseil de prévention entre individus14,15. La théorie de Rosenstock postule que le comportement du « conseillé » va varier selon sa perception de la réalité et de la gravité du risque pour lui et de l’efficacité de la prévention. Ainsi le voyageur qui n’est pas convaincu, malgré l’information qui lui en est donnée, que le paludisme est réellement un risque pour lui ne prendra pas sa prophylaxie. Le modèle de Bandura considère que la démonstration des relations de cause à effet convaincra le sujet de l’intérêt de la prévention : expliquer comment l’anophèle injecte des parasites lors de la piqûre et comment le répulsif l’évitera aidera à l’observance de la prévention. Celui de Fishbein et Ajzen ou de Green et Kreuter  met l’accent sur le rationnel d’une conduite préventive et son sens collectif.         

    La limite de ces modèles, au-delà de leur caractère théorique et partiel, est que, utilisés au pied de la lettre, ils amèneraient à réaliser des consultations d’une durée totalement incompatible avec la « vraie vie » du fait d’une démonstration dans le détail de la réalité d’un risque et de l’efficacité de la prévention et du fait du nombre de points à aborder de la sorte. Ainsi un des rares auteurs s’intéressant à la pédagogie du conseil en voyage s’étonne pourtant que 90% de voyageurs au Pérou, dans une étude, n’aient pas été informés du risque de leishmaniose : la faiblesse du risque pour le voyageur « standard » laisse supposer que dans son esprit la consultation pré-voyage « idéale » aurait dû aborder ce risque au même titre que tous les autres de fréquence équivalente et bien évidemment de plus grande fréquence, ce qui aurait rendu cette consultation vraisemblablement inefficace (et en pratique irréaliste) en noyant le voyageur sous l’information16.      

    Trop d’information tue l’information      

    Une des principales erreurs pédagogiques est probablement la volonté, louable dans son objectif mais inefficace dans la pratique, de « tout » dire alors que, en éducation à la santé, il a été bien montré que le niveau de mémorisation des informations est inversement proportionnel à leur nombre. Il a été ainsi démontré que cinq minutes après leur délivrance, la moitié des informations ont été oubliées et que seul le premier tiers est mémorisé17. La difficulté du médecin ou de l’infirmière du voyage va donc être de sélectionner parmi les nombreux sujets qu’il faudrait théoriquement aborder quelques messages prioritaires qui ne devraient pas excéder deux ou trois pour une mémorisation satisfaisante. Cela nécessite de percevoir en quelques minutes la typologie du voyageur, de son voyage et des principaux risques, ainsi que ses possibilités financières qui seront souvent le facteur décisif au choix des vaccins et de la prophylaxie anti-palustre. Le complément indispensable à cette sélection de un, deux ou trois messages de prévention sera la remise au voyageur d’un document écrit simple mais le plus complet possible, donc très synthétique, de façon à fournir aux voyageurs les informations qui ne seront pas délivrées oralement lors de la consultation.          

    Conclusion : la pédagogie de la consultation du voyage en pratique      

    Outre l’expérience et la qualité relationnelle, la base d’une bonne pédagogie est bien évidemment un niveau de connaissance technique suffisant, y compris en géographie (un conseilleur qui n’a pas l’air de situer du tout la destination du voyageur aura de la peine à être crédible), pour permettre d’évaluer rapidement la situation et de sélectionner les deux ou trois messages jugés prioritaires dans la situation spécifique du voyageur. Il est par ailleurs probablement préférable de poser les indications de vaccination et de les réaliser en début de consultation, les voyageurs souvent « tétanisés » à l’idée de la ou des « piqûres » étant peu réceptifs aux messages de prévention tant que ce n’est pas fait. Enfin la remise des ordonnances et des divers documents administratifs doit s’accompagner de la remise d’un document de synthèse évoquant les différents risques et leur prévention non évoqués oralement. Dans les cas complexes (voyages prolongés ou à risque particulier), plusieurs consultations peuvent être nécessaires, une seule même très allongée risquant d’être contre-productive car trop dense. En terme de formation, une initiation à la pédagogie de la santé devrait être réalisée lors des cursus initiaux et renforcée spécifiquement dans le domaine de la médecine des voyages lors de la formation technique grâce à des techniques de communication interactives bien évaluées maintenant dans le champ de l’éducation à la santé. Tout reste à faire dans le domaine de la pédagogie de la consultation du voyage en insistant particulièrement sur les évaluations d’impact à long terme et sur l’innovation dans les techniques pédagogiques.         

    Olivier Bouchaud, Consultation du voyage, Hôpital Avicenne et Université Paris 13 - Bobigny                

     

    Références      

    1.  Handszuh H. Tourism patterns and trends. In: Dupont HL, Steffen R, Eds. Textbook of travel medicine and health. BC Decker, 2001:34-36      

    2.  Bouchaud O., Caumes E. Médecine des Voyages. Un acte de prévention dont les généralistes doivent s’emparer. Rev Prat. 2007 ; 57 (8) : 829-830     

    3. Van De Winkel K, Van den Daele A, Van Gompel A, Van den Ende J. Factors influencing standard pretravel health advice--a study in Belgium. J Travel Med. 2007;14(5):288-96      

    4. Steffen R. Travel medecine – prevention based on epidemiological data. Trans R Soc Trop Med Hyg 1991; 85:156-162      

    5. Foucaud J, Bury JA, Balcou-Debussche M, Eymard C. Education thérapeutique du patient. Modèles, pratiques et évaluation. Saint Denis : INPES, coll. santé en action, 2010 : 412 p. http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1302.pdf      

    6. Etats des lieux de la formation initiale en éducation pour la santé en France. Résultats d’une analyse globale pour 10 professions de santé. Evolutions, N°10, 2008. http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1091.pdf      

    7. Sofarelli TA, Ricks JH, Anand R, Hale DC. Standardized training in nurse model travel clinics. J Travel Med. 2011;18(1):39-43       

    8. Battat R, Seidman G, Chadi N, Chanda MY, Nehme J, Hulme J, Li A, Faridi N, Brewer TF. Global health competencies and approaches in medical education: a literature review. BMC Med Educ. 2010;10:94.      

    9. Paz A, Steinfeld I, Potasman I. Are we doing our best to educate travelers about the risks of acute mountain sickness? An on-site prospective study in the Himalayas. J Travel Med. 2007;14(3):168-72.      

    10. Bazaz R, Green E, Green ST. Quality of malaria information provided on Internet travel operator websites. Travel Med Infect Dis. 2010;8(5):285-91      

    11. Teodósio R, Gonçalves L, Atouguia J, Imperatori E. Quality assessment in a travel clinic: a study of travelers’ knowledge about malaria. J Travel Med. 2006;13(5):288-93.   

    12.  Ruis JR, van Rijckevorsel GG, van den Hoek A, Koeman SC, Sonder GJ. Does registration of professionals improve the quality of travelers’ health advice? J Travel Med. 2009;16(4):263-6.      

    13. Bauer IL. Travel health advice as recalled by 552 tourists to Peru. J Travel Med. 2002;9(6):293-6.      

    14. Bauer IL. Educational issues and concerns in travel health advice: is all the effort a waste of time? J Travel Med. 2005;12(1):45-52.      

    15. Egger G, Spark R, Lawson J, Donovan R. Health promotion. Strategies and methods. Sydney : McGraw-Hill, 1999      

    16. Bauer IL. Knowledge and behavior of tourists to Manu National Park, Peru, in relation to Leishmaniasis. J Travel Med. 2002;9(4):173-9      

    17. Becker M. Theoretical models of adherence and strategies for improving adherence. In : Shumaker S, Schron E, Ockene J, Eds. The handbook of health behavior change. New York : Springer, 1990 :5-43                                                                  

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