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  • Le sens caché de la parole

  • La psychanalyse est née au tournant du 20°siècle, d’un effort pour comprendre et guérir les malades nerveux de toutes sortes stagnant alors dans des services de neurologie avec des paralysies, anesthésies… L’hypnose et la suggestion étaient alors très en vogue, et les manipulations médicales, parfois agressives (injonctions, courants électriques), donnaient certains résultats dont Freud, jeune praticien, s’inspira d’abord. Plusieurs arguments le conduisaient à privilégier la parole du malade, dont le caractère fondamental apparaissait bientôt : Freud répétera souvent que même au travers de la déraison, le malade doit bien avoir en quelque façon raison. Encore fallait-il, pour affirmer cela, avoir découvert que les paroles pouvaient avoir un sens caché, avoir découvert pour quels motifs et par quels procédés le malade masquait ou déguisait ses pensées et ses émotions profondes, qui échappaient à sa propre conscience (notion d’inconscient, de refoulement). On sait que Freud rapporta d’abord cette difficulté des malades pour comprendre et dépasser leurs troubles aux liens de ceux - ci avec la sexualité infantile : les « éternels désirs infantiles » se heurtent à des défenses liées à la pudeur, à la morale, aux interdits... Le symptôme intervient alors comme compromis entre désir et défense.

    L’exploration méthodique montrait une organisation différente du conflit entre des désirs (pulsions) et des défenses dans l’hystérie, la névrose obsessionnelle, les phobies, ce qui conduisait Freud à délimiter chacune de ces affections, alors nommées névroses de défense. Les notions issues de ces travaux princeps sont classiques : la vie psychique inconsciente, les refoulements, la psychosexualité et son élément central, le complexe d’oedipe. Ces notions fondamentales éclairent la clinique de l’angoisse névrotique et sont au fondement de la cure psychanalytique classique, dite cure – type. Les névroses de défense seront nommées névroses de transfert quand le transfert sur la personne du médecin sera découvert.

    L’exploration d’autres pathologies compliquait ces premières approches : l’analyse de la mélancolie, des psychoses en particulier. Freud qualifiait ces affections de narcissiques par opposition aux névroses de transfert. Dans ces affections en effet, la relation au médecin était très problématique, voire semblait impossible. Ainsi découvrait - on le narcissisme, des pulsions de destruction, en conflit avec le besoin de relation aux objets d’amour, et avec les pulsions sexuelles que la psychanalyse avait d’abord découverts. Sur ces bases, beaucoup de travaux ultérieurs se sont attelés à l’étude d’états complexes, qui intriquent souvent angoisse et dépression, ou encore dépersonnalisation et déréalisation, destructivité tournée vers soi (TS, addictions), un ensemble de troubles dans lesquels la question de l’intégrité physique ou psychique passent au devant de la scène clinique. Ces études vont apporter des éclairages essentiels pour comprendre la nécessité de différencier cure psychanalytique type et psychothérapies psychanalytiques.

    La cure - type suppose, précisément, un sujet dont le sentiment d’intégrité n’est pas excessivement menacé par le traitement, par le retour de certaines images, pensées, besoins ou désirs fondamentaux. Le malade accepte une certaine souffrance, d’éventuels conflits que la cure peut réactiver. Il fait la différence entre la cure, la personne du thérapeute, et les situations et les images que celle-ci fait revivre à partir de son histoire personnelle. La cure - type trouve ainsi son meilleur usage dans les névroses classiques. Mais plus que le diagnostic, ce qui est important est finalement le fait que les conflits sont contenus dans un psychisme qui souffre mais reste organisé. L’analyse porte alors essentiellement sur les contenus psychiques : idées, images, rêves et souvenirs qui viennent à l’esprit du patient, qui tente de ne pas trier ou censurer ce qu’il dit.

    Le psychanalyste, à partir de sa propre expérience de la psychanalyse et de l’enseignement théorique qu’il a reçu, écoute et coordonne les significations inconscientes du discours du patient. Il lui en communique les significations possibles. Une interprétation juste aide le patient à surmonter les résistances qui empêchent de découvrir les conflits inconscients qui sous tendent ses symptômes ou son mal-être, à comprendre différemment une période importante de sa vie. Le conflit mieux compris est davantage intégré à la vie consciente, qui s’enrichit. La souffrance qui en résultait s’atténue et devient progressivement supportable ou disparaît. On appelle transfert l’ensemble des liens affectifs qui se créent du patient vers le psychanalyste. Ils varient dans le cours du traitement, traversent des crises parfois nécessaires et qui généralement sont surmontées par la verbalisation.

    Mais pour de nombreux cas, une psychothérapie psychanalytique sera plus indiquée que la cure - type, et les options théoriques et techniques initiales de Freud devaient être modifiées. On découvrait en particulier de nouveaux types d’angoisses, qui modifiaient grandement la relation au thérapeute. Par exemple, une dépression profonde expose le patient à une angoisse insupportable d’abandon par le thérapeute, de perte d’objet. Ou encore, la relation thérapeutique peut être ressentie par le patient comme mettant en péril son intégrité narcissique, avec l’angoisse d’être dépossédé de soi même, influencé de façon malveillante par le thérapeute, etc… Ainsi, pour de nombreux cas, il fallait développer une modulation différente de la relation thérapeutique, ce qui fut étudié en particulier à partir du traitement des états limites et des structures narcissiques, et aussi dans le cas particulier des psychoses, des troubles alimentaires, des addictions, des situations violentes,etc....

    Dans la psychothérapie, toutes les notions techniques de base évoquées précédemment restent essentielles : la résistance et la notion d’un travail psychothérapeutique, au travers de séances, l’importance accordée à la parole, et si possible aux interprétations… Cependant, du fait de la nature des angoisses mobilisées, l’analyse et le maniement du transfert peuvent devenir particulièrement délicats voire difficiles. Le thérapeute doit s’appuyer grandement sur sa propre expérience de l’analyse, et sur sa propre auto analyse, pour régler sa propre attitude en vue d’atténuer les angoisses du patient. Le transfert du patient peut en effet être imprégné d’hostilité, de méfiance, de craintes de régression excessive... Ainsi, paradoxalement, la psychothérapie devrait être conduite par un clinicien expérimenté, bien au fait des différentes figures que nous venons d’évoquer. D’abord considérée comme une sous cure - type, puis comme aménagement de la cure - type, la psychothérapie psychanalytique est davantage reconnue dans sa spécificité aujourd’hui.

    La cure - type classique comporte un cadre bien délimité, affirmé explicitement, avec 2 à 3 séances par semaine, à heures fixes, ½ h ou ¾ d’heure, payées par le patient… Le patient est allongé. Ce cadre est la scène à l’intérieur de laquelle le patient projette les figures de son monde intérieur. La cure - type est un dispositif très cohérent avec le projet de renouer avec les traces refoulées excitantes, douloureuses, déstabilisantes, issues de toutes les périodes de la vie. La parole du patient est largement prévalente, soutenue, relancée par les interprétations de l’analyste qui adopte une position dite de neutralité bienveillante.

    Mais dans ce cadre, certains patients n’ont rien à dire, d’autres ne supportent pas position allongée sur le divan, le relatif silence du psychanalyste, ou au contraire ses interprétations, d’autres des séances trop rapprochées, etc. Ainsi, de nombreuses situations complexes sont à la fois de bonnes indication d’une psychothérapie par un psychanalyste tout en étant très délicates à mener : dépression, fragilité de l’organisation du moi, situation traumatique évolutive, conjugale, professionnelles, troubles mentaux dans l’entourage…

    Souvent une forme de conseil, de soutien est inévitable, voire indispensable. L’analyste manifeste davantage sa présence, sa disponibilité, son empathie. Il peut aider le patient à découvrir et comprendre les situations qui le mettent en difficulté : situations traumatiques du passé, difficultés relationnelles, déséquilibre familial. Avant ce travail de découverte, une réponse de style interprétatif peut être vécue comme absurde, déréalisante, voire comme une négation de la sidération et de la détresse.

    Ainsi, de nombreuses situations peuvent se rencontrer, entre une psychothérapie psychanalytique proche de la cure - type, mais en face à face, et/ou avec un rythme de séances moindre, jusqu’à des formes de psychothérapie ou la fiabilité et la compréhension du praticien sont d’abord mises à contribution pour que le patient développe sa curiosité ou ses capacités de réflexion. Ou encore des cas ou il faut en premier construire un échange ayant un minimum de continuité, ce qui est d’abord empêché par des angoisses dépressives ou d’invasion. Parfois, un traitement médicamenteux est indispensable.

    Chez les enfants et les adolescents, de très nombreux troubles peuvent justifier, après une ou plusieurs consultations avec les parents, une psychothérapie, plus rarement une psychanalyse. Des difficultés scolaires, ou encore des troubles alimentaires, relationnels, comportementaux révèlent souvent une souffrance psychique,.

    Certains troubles du nourrisson et du très jeune enfant peuvent bénéficier d’une série de consultations psychanalytiques associant mère et enfant.

    Comme dans la psychothérapie des adultes, le psychiatre psychanalyste s’intéresse alors non seulement au sens inconscient des contenus psychiques, mais il s’intéresse aussi et peut être d’abord à la construction même du psychisme, de l’individualité, au psychisme comme contenant, à son pouvoir de liaison des énergies psychiques, au développement de la pensée.

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