> Retour à la présentation du Dossier 82
  • Questionner l’erreur pour la conjurer

  • Les Groupes locaux d’amélioration des pratiques, ou GLAP, de la SFTG sont des groupes de médecins généralistes qui se réunissent de façon régulière —une fois par mois environ— pour mettre en œuvre des méthodes d’évaluation des pratiques professionnelles. L’analyse de cas cliniques entre pairs et l’audit clinique sont les méthodes les plus utilisées.

    Un outil d’amélioration des pratiques

    En 2009, un groupe de travail de la HAS, auquel nous avons participé, a établi une méthodologie de « Revue de mortalité et morbidité et Médecine générale ». Nous avons voulu croiser les deux démarches méthodologiques de la RMM et des GLAP : mettre à la disposition des GLAP une méthode nouvelle et, réciproquement, offrir au thème de la sécurité du patient un espace de développement en médecine générale qui nous paraissait particulièrement adapté. Deux journées de formation à la méthodologie de la RMM ont réuni à cet effet les médecins référents des GLAP.

    L’objectif de cet article est de rendre compte de l’expérimentation de la RMM au sein d’un GLAP qui existe depuis plusieurs années et regroupe des médecins généralistes qui se connaissent bien mais n’exercent pas dans le même cabinet. Quatre des dix réunions mensuelles du groupe ont ainsi été consacrées, en 2010, à l’analyse d’événements indésirables. Chaque médecin participant devait sélectionner un événement pour lequel il avait été amené à se dire : « Ceci a menacé le bien-être du patient et n’aurait pas dû arriver. Je ne veux pas que cela se reproduise » (définition inspirée de la PCISME (Primary Care International Study of Medical Error, 2001 International Pilot Study).

    Six incidents ont été relevés par les participants : 
    • le retard de prise en charge d’un cancer du sein ; 
    • le retard de diagnostic d’une embolie pulmonaire ;
    • le retard de diagnostic d’une sténose de l’aorte abdominale ; 

    • une erreur dans la réalisation du calendrier vaccinal d’un nourrisson ; 
    • une interaction médicamenteuse non repérée par le prescripteur ;
    • la gestion d’une crise suicidaire.

    Deux incidents constituent des retards de diagnostics réputés difficiles, et pour lesquels cette notion de « retard » et de délai tolérable pour le diagnostic reste difficile à définir. L’activité de diagnostic est une part importante et spécifique du métier de généraliste. Savoir éliminer ou confirmer un diagnostic grave est une des compétences que le médecin généraliste aimerait maîtriser pour ne pas être à l’origine d’une perte de chance pour le patient. D’où l’intérêt porté à l’analyse de ces deux cas.

    Deux incidents portent sur la prescription ou l’administration d’une thérapeutique. Il est intéressant de noter que l’un de ces incidents est un exemple de « presqu’accident » où l’événement indésirable a pu être évité grâce au pharmacien qui a pleinement joué son rôle de prévention.

    Un autre cas choisi par un des médecins participants est celui de la gestion d’une crise suicidaire. Le patient et l’évolution de sa maladie sont probablement les principaux facteurs explicatifs de ce passage à l’acte et cet événement indésirable grave n’était pas « à coup sûr » évitable par aucun des intervenants consultés sur la période. Cependant le malaise ressenti par les soignants et leur sentiment d’échec justifiait de s’interroger sur les défauts de la prise en charge.

    Nous allons donner une illustration du type d’analyse effectuée dans le cas qui constitue un retard de prise en charge.

     Il s’agit d’une femme de 55 ans consultant en juillet 2009 un médecin généraliste qui n’est pas son médecin traitant, à la suite de la découverte d’une adénopathie axillaire. Le médecin confirme l’existence de l’adénopathie et prescrit un bilan sénologique. Il indique à la patiente le centre d’imagerie médicale en qui il a une totale confiance. Il reçoit par courrier le résultat du bilan qui retrouve une lésion suspecte. Le compte-rendu indique qu’une ponction-biopsie a été réalisée le jour même.

    Une dizaine de jours plus tard il reçoit un résultat d’examen cytologique assez abscons indiquant une suite de récepteurs cellulaires. Il comprend qu’il s’agit d’une tumeur maligne.

    Quatre mois s’écoulent au cours desquels le médecin n’a pas d’autre nouvelle de la patiente.

    La patiente le consulte de nouveau en novembre 2009 et lui dit : « Docteur, je vous ai apporté les résultats de la mammographie que vous m’avez prescrite ». Le médecin se décompose sur place : « Vous voulez dire que vous n’avez consulté personne depuis juillet ?

    « Non, mais pourquoi ? Est-ce qu’il y a quelque chose d’inquiétant ? »

    Le médecin observe que la consultation d’annonce d’un diagnostic grave ne pouvait plus mal commencer. L’analyse des facteurs ayant contribué au retard de prise en charge est synthétisé dans le schéma suivant :

    Le principal problème est celui de la communication – mais il joue tout au long de la chaîne de soins :

    > Entre médecin prescripteur et radiologues : le radiologue n’a pas appelé le méde­cin alors qu’il le fait de façon systématique, habituellement.

    > Entre médecin prescripteur et patient : le médecin n’a pas senti la nécessité de contacter la patiente.

    > Entre radiologue et patient : le radiologue n’a pas averti la patiente de la gravité du diagnostic possible.

    A la suite de cette analyse, le groupe a proposé de mettre en œuvre l’amélioration suivante : organiser la transmission d’informations entre  le médecin prescripteur d’un examen complémentaire, le médecin qui effectue le geste (l’examen complémentaire) et le biologiste qui analyse la pièce biopsiée. Cette préconisation pourra s’appliquer également à d’autres processus de soins : la coloscopie avec exérèse et analyse d’un polype, l’échographie thyroïdienne avec ponction et analyse d’un nodule, la mammographie avec ponction-biopsie.

    Que retenir de cette expérimentation ?

    D’abord que les réunions sont passionnantes. Il y a un indéniable soulagement à parler de ces situations difficiles, à partager, élucider et finalement transformer un incident vécu comme un échec en un bénéfice individuel et collectif. Apprendre de ses erreurs ou dysfonctionnements est une démarche salutaire et l’analyse collective est plus riche que la réflexion solitaire. Elle est plus facile à aborder dans ces groupes, où la confiance a été construite avec le temps.

    Une exploration au-delà des compétences individuelles

    L’approche par l’analyse des incidents et des erreurs est une méthode centrée sur le patient. C’est l’une de ses grandes forces.  Elle amène à questionner des champs de l’activité médicale plus larges que ne le font la formation continue ou l’appropriation individuelle des recommandations : relation avec le patient, coordination des soins, communication entre acteurs, organisation du cabinet. Ces domaines correspondent justement aux missions du médecin généraliste.

    Bien sûr, les médecins généralistes regrettent de faire l’analyse en l’absence des autres acteurs de la chaîne de soins. Mais réunir tous ces acteurs suppose des méthodologies qui sont encore plus difficiles à définir dans le cas de la médecine de ville qu’au sein d’équipes hospitalières.

    Au  demeurant, l’un des mérites de groupes tels que les GLAP est d’assurer une dynamique d’échange et d’analyse et surtout une confiance et une liberté de parole que seules la durée, la régularité et la réciprocité du groupe permettent de construire. C’est la confiance établie dans le groupe qui ouvre la parole. C’est elle qui permet le questionnement de l’erreur. Ce type de travail pourrait bien constituer une innovation importante, s’appuyant sur cette dynamique et cette confiance dont sont porteurs les groupes de pratiques pour faire entrer les MG participants dans la « culture de sécurité ». Il ouvre aussi la voie à la constitution d’un dispositif de recueil, voire d’un éventuel Observatoire des événements indésirables contribuant à l’amélioration de la Qualité et de la Sécurité des soins.

    Dr Isabelle  Dupie
    Médecin généraliste, 
    Membre du bureau de la SFTG,
    Chargée de l’amélioration des pratiques

     

> Retour à la présentation du Dossier 82
  • Ce dossier est composé de 7 Articles