• Numéro TLM 67
  • Le Médecin, les amours

Spécialité : Sciences humaines

Date : 15/04/2007

Le Médecin, les amours

Faut-il aimer son prochain comme soi-même ou bien faut-il l’aimer comme il vous aime lui-même ? Lorsqu’il s’agit de la relation malade médecin, qui reste l’un des exemples ultimes de la relation duelle et des relations humaines en général, il nous faut retenir de ces assertions plusieurs réflexions. D’abord que la notion d’Amour reste le terme central de toute approche des problèmes relationnels, que ce soit pour soi ou pour les autres. Qu’ensuite il existe toujours au travers de cette réflexion, des difficultés sur le rôle et la place réelle que chacun des interlocuteurs peut occuper dans ce dialogue. Doit on aimer pour être aimé ? Et si c’est le cas, qu’elle est la place respective de chacun, du soignant et du soigné ? Et puis peut-on et doit –on s’occuper des autres si on ne les aime pas ? Impitoyable de redondance, mais aussi permanent dilemme : s’aimer soi-même pour aimer l’autre signifie t- il égoïsme, narcissisme ou tout au contraire indispensable moment de l’empathie, voire de la compassion médicale ? Quels amours pour quelle médecine ? C’est le thème déjà abordé lors des Journées Nationales de la SFTG (Société de Formation Thérapeutique du Généraliste), en Avignon qui trouve dans ces pages un écho supplémentaire grâce à ce dossier spécial du journal TLM. La question est de taille et si toute l’histoire de l’humanité ou presque vient se réunir à l’extrême pointe de la flèche tirée par un petit bonhomme ailé, dont on bande même généralement les yeux, elle n’en atteint pas moins un but essentiel – quoique pourvu d’interprétations différentes- lorsqu’elle va toucher les médecins et la médecine. Et ce but il va falloir le choisir entre les trois grandes et classiques distinctions que les sens du terme « amour »nous permettent de faire : Filia, l’amour fraternel, pourquoi pas aussi l’amitié ? - ne dit –on pas justement de l’amitié qu’elle est « l’amour dont on a coupé les ailes » ? Eros, l’amour passion celui qui nous dévore lorsqu’il nous atteint et nous conduit souvent hors de nos limites et surtout hors de nous-mêmes ; celui aussi qui a fait couler le plus d’encre tant chez les poètes que chez les philosophes voire chez les psychanalystes, qui ne savent généralement que lui opposer sagesse, patience…et compréhension de soi. Et puis il y a Agapè, l’amour spiritualité, l’amour bienveillance, celui dont bien entendu il sera question dans ces quelques pages de réflexions. Les points communs entre l’Agapè des Grecs et les qualités requises pour la pratique de l’Art Médical sont nombreux. Il est ,avant toute chose, nécessaire de considérer cette version de l’Amour comme un Art à part entière : l’Art de l’Amour ; apprendre à prendre soin de l’autre, à devenir son thérapeute, demande toutes les qualités requises par celui ou celle qui s’adonne à un art quel qu ’il soit . On évoquera dans ce sens : -LA discipline, au sens d’un certain style de vie, et non pas d’une règle pénible ou imposée. -La concentration : savoir rester seul avec soi même pour être capable de prendre les « bonnes « décisions. - L’attention enfin – l’amour sous ses diverses formes, se définit d’abord et avant tout, comme « attention » à l’autre, et dans ces conditions, correspond bien à ce que l’on attend d’une attitude de médecin . Cet Amour là, amour du prochain dans la bienveillance et l’attention, n’est ni égoïsme, ni narcissisme. Il est cependant indivisible car il concerne l’autre et soi ; bien sur, il faut s’aimer un peu pour pouvoir aimer les autres, eux qui nous confient leur souffrance et leur désarroi. Cet Amour est aussi sollicitude, responsabilité, respect et connaissance. Il fait croître, il est animé par le « don » ; don de sa personne et don de son temps ; On est alors bien proche des vertus requises pour l’exercice du métier de médecin, mais également pour toutes les professions qui abordent les patients. Cependant un tel don de sa personne dans la relation de soin ne va pas sans risque, et exige toujours de celui ou celle qui s’y adonne la plus extrême prudence afin d’éviter le grave écueil de l’Epuisement Emotionnel ( le fameux Burn Out) qui met fin à ce que l’on est en droit de qualifier alors de « tragique méprise » : avoir cru en donnant tout aux autres que l’on s’en ferait aimer davantage.Ce n’ est pas ainsi que l’on se fait aimer , mais par contre c’est bien par cette voie que l’on peut déprimer et « craquer » plus ou moins rapidement. Encore une fois pris entre le marteau et l’enclume, le soignant va devoir osciller entre deux pôles : celui de l’amour de son prochain donc, et celui – bien légitime – qu’il se doit à lui-même. Ainsi en aimant tous les êtres humains d’égale façon, le médecin peut-il tenter de se protéger des « pertes » engendrées par les autres formes que l’Amour peut revêtir. Amitié ou surtout passion ne concernent-elles pas le plus souvent un seul sujet sur lequel l’attention devra totalement s’investir ? C’est donc bien la principale caractéristique de cet amour de bienveillance que de donner une âme à la relation médecin malade Et encore devrions nous sans doute aborder ici le transfert « amoureux « parfois présent lors des consultations , et que les médecins comme les psychanalystes doivent identifier avec la plus grande attention sous peine d’ en être parfois eux même les victimes. Introduire la réflexion sur un thème aussi vaste ne peut au total se justifier que si l’on considère clairement, qu’il n’y a pas d’autre sens à la vie que celui que l’homme veut bien lui attribuer, et qu’il se trouve absolument seul, hormis lorsqu’il assiste autrui.. Quel plus beau lien trouver entre l’Amour et la Médecine ?



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