• Numéro TLM 61
  • Médecine et Sacré

Spécialité : Sciences humaines

Date : 15/10/2005

Et si tout cela avait un sens ? L’image du médecin occidental est depuis longtemps celle d’un être rationnel certes toujours dans l’exercice d’une forme d’ art, l’ « art médical », mais ayant depuis longtemps, et chacun peut s’en féliciter, abandonné l’aspect inquiétant du chaman, du guérisseur ou autre sorcier. Mais si le médecin, en se voulant de plus en plus technique, de plus en plus scientifique, a progressivement abandonné ce qui, à l’instar des religions, pouvait rappeler sa dimension sacrée, la médecine n’en garde pas moins des racines solidement ancrées dans l’imaginaire, l’irrationnel, le mystérieux, l’indicible…

Le sacré —« ce dont on ne peut approcher sans risquer la mort »— est toujours présent dans l’inconscient de chacun, toujours prêt à réapparaître lors de la moindre blessure, de la plus petite attaque à notre intégrité corporelle ou psychique. Bien sûr, à l’ère de la médecine « fondée sur les preuves », du médicament jugé à l’aune du « service médical rendu », peut-il paraître quelque peu passéiste d’évoquer le sacré et la médecine, ou le sacré dans la médecine. Et il n’est que plus courageux pour la revue TLM d’accepter d’aborder ce sujet dans une période où le scientisme risque d’éteindre ce qu’il reste encore du « facteur humain » lors de nos consultations. Pourtant, et Catherine Draperi comme Patrick Ouvrard sont là pour nous le rappeler, l’acte médical est en lui-même chargé des multiples dimensions du sacré. A commencer par son histoire même, par ses rituels, ceux de l’hôpital avec la visite quotidienne du patron, comme ceux de la médecine de ville, avec ses prises de tension, ses instruments parfois mystérieux, ou à tout le moins inquiétants, qui souvent parsèment les cabinets de consultation…

N’oublions pas non plus l’irrépressible goût de chacun pour les mystères et les secrets. Toutes les religions, du christianisme au bouddhisme, l’ont compris, qui tentent à leur manière aussi de soulager ou de faire disparaître la souffrance, voire parfois de la nier ; l’être humain est périssable, le mystère de sa venue reste entier et celui de sa disparition ne l’est pas moins… Il est esprit, certes, mais également corps et si « l’homme n’a pas seulement un corps, mais est un corps », il devient périlleux et surtout illusoire de vouloir le dissocier. Un corps sans tête ? Une tête sans corps ?

Alors, disparition du sacré ou réapparition du concept sous des formes différentes ? Ce dossier tente d’apporter sa pierre à l’édifice de cette réflexion; car, à une époque où l’on cherche du sens et des valeurs pour la médecine en général et plus particulièrement pour la médecine générale, il est bon de rappeler que l’homme peut difficilement vivre en dehors de toute croyance et de tout rapport avec un monde autre, et qu’accepter la dimension sacrée est aussi une façon irremplaçable, pour ceux qui le peuvent, d’apaiser l’angoisse, qui d’une façon ou d’une autre nous étreint tous un jour… Et peut-être peut-on appliquer à la médecine cette réflexion d’Einstein, rapportée par André Malraux : « Le plus extraordinaire est que tout cela a sans doute un sens »…



  • Ce dossier est composé de 4 Articles