• Numéro TLM 93
  • Préparer sa retraite

Spécialité : Vie professionnelle

Date : 22/10/2018

Préparer sa retraite

Ralentir en douceur, sans tout abandonner… Évoquer une retraite active réalise un paradoxe dans les termes mêmes. Quand on est à la retraite, on est donc par définition « en retrait » de toute activité, au moins lucrative, et de tout travail qu’il soit culturel, social ou médical. On est donc en retrait du monde « actif », autant dire qu’on risque d’être amené à ne plus rien faire de sa vie. Des mots croisés, des collections , des visites de musée, des voyages organisés… mais lorsqu’on a passé sa vie à s’occuper des autres, les soigner, les suivre, s’intéresser à leur vie avec empathie voir avec compassion, qu’on a fait des efforts de compréhension, quel sens peut avoir cet arrêt brutal dans l’action ? N’est -il pas la négation des efforts, des progrès, de la lutte pour l’adaptation que chacun a pu mener pour devenir plus performant dans son métier ? On passe la presque totalité de sa vie à s’activer, et voilà que, sous prétexte que l’heure a sonné, on doit tout arrêter : le TGV qui roulait à 250 kilo­mè­tres/heure devrait s’arrêter sur… 50 mètres ! Peut-être, mais alors attention aux freins !! Cette pose, pour obligatoire qu’elle soit, est-elle utile, indispensable et salutaire ? Et, par là même, fondatrice d’une vie meilleure et plus exaltante ? D’un « à-venir » radieux et surtout constructif ? Tout au contraire, ce « retrait obligé », alors que bien souvent on se trouve « en pleine forme », n’est-il pas la négation même des idéaux de toute une vie ? On ne devient pas médecin par hasard, où alors… La profession de médecin est différente des autres, en cela que si elle a été bien vécue et intériorisée, elle trouve aussi sa valeur dans l’aide que l’on aura apporté aux autres. Une attention permanente devenue mode de vie. Une profession de l’« Aide ». C’est aussi cela la médecine. Un médecin retraité actif est donc un être bien particulier. Il est l’un de ceux, finalement assez rares, qui ont choisi leur profession par vocation, ou, si le mot semble trop fort, qui ont réussi au fil des années à percevoir l’intérêt et la valeur à la fois morale et affective de leur action. Abandonner tous ces efforts, « battre en retraite », ne comporte-t -il pas aussi ses risques pathogènes, allant du psychique au somatique et, pour ne pas la citer, risquant bien souvent de mener à la dépression et au dégoût du monde et de soi. Le travail est un élément central de l’équilibre psychique. Lorsque l’esprit reste clair, que le corps ne s’enfuit pas, que le bonheur de s’activer reste entier, pourquoi nier et rejeter ce plaisir, cet intérêt ? Et surtout pourquoi le fuir ? C’est sans doute une question de rythme. Pas trop vite, pas trop fort. Trouver le bon tempo pour tirer de son activité un peu modifiée la joie d’être utile. Tout l’art sera de ralentir en douceur sans tout abandonner. Ainsi est-il possible maintenant d’envisager sans grands risques financiers de travailler à mi-temps ou à tiers-temps et d’utiliser pleinement l’expérience acquise au cours de ses années d’exercice afin que toute cette expérience, tout ce savoir ne soient pas définitivement perdus. Comme a pu l’écrire T.S. Elliot : « Où est la sagesse qui s’est perdue en savoir, où est le savoir qui s’est perdu en information ? » Il faut pouvoir redonner en s’appuyant sur l’autre un sens à sa vie, sans pour autant se mettre en danger. Il faut aussi apprendre à retrouver des centres d’intérêt dans des domaines que l’on avait peu ou jamais explorés mais qui, proches de la profession médicale, reprennent sens. C’est une solution temporaire mais qui permet de conserver un indispensable contact physique et psychique avec une réalité quotidienne qui ainsi ne nous fuit pas. Alors retraite active, sûrement —et à mon sens il est difficile de défendre une autre thèse (sauf problèmes de santé graves et handicapants)—, mais il faut le faire autrement, dans la réflexion et la douceur de son propre rythme d’exercice. On peut encore s’épanouir dans un métier dont l’intérêt est sans limite, profiter du meilleur par le jeu de l’expérience, et ainsi éviter la « glissade » que l’absence de contact avec la réalité quotidienne n’oubliera certainement pas de nous rappeler. Dr François Baumann, Octobre 2013



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