Certaines femmes font le choix de tirer leur lait pour nourrir leur bébé : une alternative parfaitement respectable à l’allaitement maternel qui nécessite un accompagnement des jeunes mères pour être menée à bien, estime le Dr Dominique Leyronnas, pédiatre à la maternité de l’Hôpital privé d’Antony et membre du Réseau Périnatal 92.

TLM : Quelle est la définition du tireallaitement ?

Dr Dominique Leyronnas : C’est le processus qui consiste à extraire le lait maternel des seins à l’aide d’un tire-lait manuel ou électrique. Le lait recueilli peut ensuite être stocké pour une utilisation ultérieure.

TLM : Dans quelles situations le tire-allaitement peut-il s’avérer utile ?

Dr Dominique Leyronnas : Il en existe plusieurs : lorsque la mère et l’enfant doivent être séparés pour des raisons médicales, lorsque le bébé est prématuré — c’est même alors vital —, lorsque la prise au sein s’avère difficile pour des raisons psychologiques, ou pour des raisons physiologiques ou anatomiques (palais creux, fente palatine, tensions cervicales dues à une naissance avec instruments…), lorsque la mère souhaite poursuivre l’allaitement maternel tout en travaillant, ou pour toute autre raison personnelle. Certaines femmes peuvent aussi avoir recours à un tire-lait pour prévenir l’engorgement.

TLM : A quelle fréquence est-il conseillé de tirer son lait ?

Dr Dominique Leyronnas : Tout dépend de la situation : s’il s’agit d’un tire-allaitement exclusif, par choix ou pour retourner au travail par exemple, une mère devra tirer son lait aussi souvent que si elle allaite son bébé au sein, environ toutes les trois ou quatre heures environ. Si elle le fait pour prévenir ou soulager un engorgement, dès que ses seins deviennent douloureux.

TLM : Quels sont vos conseils pour pratiquer le tire-allaitement ?

Dr Dominique Leyronnas : Il est important de trouver un endroit calme et confortable, notamment si c’est sur son lieu de travail. Comme pour l’allaitement au sein, une bonne hydratation est essentielle pour que la production de lait soit suffisante. Il existe deux modèles de tire-lait — manuel et électrique : à chaque femme de choisir celui qui lui convient le mieux. Une tétrelle mal adaptée à la forme du sein peut entraver la mise en route du tire-allaitement, il est donc indispensable d’en choisir une à la bonne taille qui couvre bien l’aréole. J’encourage les femmes à se faire accompagner par des professionnels formés au tire-allaitement car sa mise en route est loin d’être intuitive. Outre les soignants, les sages-femmes et les consultantes en lactation, de plus en plus de pharmaciens suivent des formations spécifiques et sont capables de conseiller leurs clientes sur cette pratique.

TLM : Y a-t-il des précautions d’hygiène particulières à observer ?

Dr Dominique Leyronnas : L’utilisation d’un tire-lait oblige à laver soigneusement l’ensemble du matériel qui a été en contact avec le lait. Au cours d’une même journée, il est cependant possible d’alléger cette procédure entre plusieurs tirages : il suffit alors de placer les accessoires dans un sachet hermétique au réfrigérateur et de ne laver l’ensemble du matériel qu’en fin de journée.

TLM : Combien de temps une femme peut-elle conserver son lait et dans quelles conditions ?

Dr Dominique Leyronnas : Une fois le lait extrait, il suffit de le transférer dans des biberons ou des sachets de conservation spécialement conçus pour le lait maternel. Concernant la durée de conservation, les choses ont évolué depuis les dernières recommandations en la matière qui datent de 2012 : on estime désormais que le lait maternel peut se conserver jusqu’à huit heures à température ambiante, jusqu’à huit jours au réfrigérateur et jusqu’à douze mois au congélateur. Nous avons transmis aux autorités de santé nos travaux afin qu’elles mettent à jour leurs recommandations.

TLM : Comment les médecins généralistes peuvent-ils accompagner leurs patientes qui souhaitent tirer leur lait ?

Dr Dominique Leyronnas : Je leur conseillerais déjà de les interroger en amont, pendant leur grossesse, sur leurs intentions en matière d’allaitement. Le moment venu, à moins qu’ils aient été formés à la question, je leur suggèrerais de travailler en réseau avec des sages-femmes libérales ou des consultantes en lactation qui connaissent bien le sujet. Dans tous les cas, ils doivent encourager leurs patientes à s’informer auprès de professionnels de santé qui pourront répondre à leurs interrogations. Il existe également des associations de soutien spécifiques à la question du tire-allaitement vers lesquelles elles peuvent se tourner.

TLM : Le tire-allaitement exclusif peut-il être envisagé sur plusieurs mois ?

Dr Dominique Leyronnas : Absolument ! Lorsque toutes les conditions favorables sont réunies pour que la maman puisse poursuivre, ce mode d’allaitement peut devenir un projet qui s’inscrit dans la durée.

TLM : Peut-on alterner allaitement maternel au sein et allaitement au tire-lait ?

Dr Dominique Leyronnas : Les bébés régulièrement allaités au sein ont tendance à refuser catégoriquement le biberon, même avec du lait maternel. Il est fréquent qu’ils opèrent une grève de la faim ! En revanche, si une mère décide de retourner de manière régulière à l’allaitement au sein après une longue période pendant laquelle elle a tiré son lait, la transition sera compliquée mais pas impossible ; tout dépend de son désir profond d’allaiter, qui reste le facteur le plus influent sur la réussite de l’allaitement au sein. Car, in fine, même si tirer le lait au sein est plus exigeant pour le bébé que d’être nourri au biberon, il privilégiera toujours le contact peau-à-peau avec le sein maternel.

TLM : En étant nourri au lait maternel, même sans téter, bébé bénéficie-t-il quand même de ses bienfaits ?

Dr Dominique Leyronnas : Tout à fait, et ceux-ci sont précieux : prévention du risque ultérieur de syndrome métabolique, du risque d’infections respiratoires hautes et d’infections digestives, et participation à l’installation et à la maturation de son système immunitaire.

TLM : Ce mode d’allaitement présente-t-il néanmoins des inconvénients ?

Dr Dominique Leyronnas : Soyons honnête, le tire-lait entrave la spontanéité de l’allaitement et le contact direct lié au peau-à-peau avec l’enfant. En outre, le tire-allaitement exige de l’organisation et de la rigueur dans la routine de tirage, dans la conservation du lait et dans le nettoyage des biberons. Pour autant, avec un matériel bien choisi, bien adapté et bien utilisé, tirer son lait se passe généralement très bien. Et cela reste, dans tous les cas, une alternative tout à fait respectable à l’allaitement maternel et très supérieure au lait industriel.

Propos recueillis

par Mathilde Raphaël ■