Dre Cécile Moisan : L’action surprenante du miel dans la cicatrisation des plaies
Discipline : Dermatologie
Date : 10/04/2024
Avec ses propriétés pharmacologiques incontestées, le miel fait de plus en plus d’émules pour ses qualités de cicatrisant naturel. Appliqué sur une plaie, il limite les infections et améliore grandement la cicatrisation. Mais gare aux mésusages.
Les explications de Cécile Moisan, chirurgien vasculaire au CHU de Saint-Brieuc.
TLM : Aiguë ou chronique, comment différencier ces deux grands types de plaies ?
Dre Cécile Moisan : Dans la littérature médicale, la plaie chronique est généralement définie par une absence de cicatrisation après un délai de six semaines suivant l’apparition de la plaie. En pratique, une plaie sera considérée comme chronique après quatre à six semaines d’évolution selon son étiologie. Environ 85 % des plaies des membres inférieurs sont d’origine vasculaire (ulcères veineux, artériels). Escarres, plaies du pied diabétique et plaies tumorales viennent ensuite compléter le tableau. En revanche, les plaies aiguës sont généralement d’origine traumatique (accident de la vie, chute, brûlure…) ou chirurgicale. Quoi qu’il en soit, il est particulièrement difficile de connaître avec exactitude le nombre de plaies en France car il n’existe pas de cotation permettant de les recenser. D’anciens chiffres mentionnaient que les plaies concernaient environ 5% des plus de 65 ans, mais on sait aujourd’hui que leur nombre est beaucoup plus important.
TLM : Quelles sont les différentes phases de traitement local des plaies ?
Dre Cécile Moisan : En général, la cicatrisation d’une plaie aiguë classique démarre par une phase inflammatoire avec l’afflux des polynucléaires qui permettent la formation du thrombus et ainsi l’arrêt des saignements. Ensuite ce sont les leucocytes, dont les macrophages, qui vont entamer l’élimination des cellules mortes et des fragments bactériens. Puis les fibroblastes vont combler la plaie peu à peu. La prise en charge de la plaie chronique diffère en fonction du stade de la plaie. Face à une plaie fibrineuse, la phase de détersion sera déterminante car elle vise à prévenir les complications infectieuses et le retard de cicatrisation. S’ensuivent classiquement les phases de bourgeonnement et d’épidermisation.
TLM : Des facteurs de risque ont-ils été identifiés dans les cas complexes présentant un retard de cicatrisation ?
Dre Cécile Moisan : Parmi les nombreux facteurs de risque, on retrouve notamment le diabète, l’insuffisance veineuse ou artérielle, l’insuffisance cardiaque, le tabagisme, etc. Quoi qu’il en soit la règle est la suivante : face à une plaie qui ne cicatrise pas, il est impératif de vérifier la présence éventuelle d’une artérite des membres inférieurs. En matière de plaie, il faut avoir à l’esprit qu’elle n’est toujours que la conséquence de quelque chose. Il faut donc d’abord traiter l’étiologie qui en est à l’origine. En consultation, l’interrogatoire doit aussi porter sur la nutrition — il n’est pas rare de rencontrer des patients qui souffrent, de dénutrition protidique, de scorbut et/ou de carence en oméga 3, par exemple — et sur l’activité physique des patients, plus particulièrement la marche au quotidien. En effet, malnutrition et sédentarité constituent elles aussi des facteurs de risques importants dans la survenue d’un retard de cicatrisation. La prise en charge des patients se fera au cas par cas en fonction des comorbidités associées. L’essentiel est d’être actif dans la prise en charge !
TLM : Une prise en charge spécifique pour chaque type de plaie ?
Dre Cécile Moisan : La multitude de dispositifs médicaux disponibles aujourd’hui peut parfois porter à confusion. En réalité, aucune plaie ne correspond à une autre. Mais, finalement, il n’y a que cinq grandes catégories de plaies : la plaie nécrotique, la plaie fibrineuse, la plaie bourgeonnante, la plaie en cours d’épithélialisation et, enfin, la plaie infectée. Et pour chacun de ces types de plaie, un ou deux types de pansements seulement seront adaptés. Cela simplifie énormément les choses, en particulier pour les soins infirmiers.
TLM : De nombreuses études cliniques ont objectivé les indications thérapeutiques de la place du miel dans la cicatrisation. Qu’en est-il ?
Dre Cécile Moisan : Dans mon service, on m’appelle « la reine des abeilles » parce que j’utilise du miel depuis 2013 en raison de ses multiples vertus. Et notre indication princeps, ici au Centre hospitalier, c’est la plaie fibrineuse non exsudative. En raison de sa forte concentration en sucre, le miel constitue par définition un milieu hypérosmotique aux propriétés antimicrobiennes. Par ailleurs, sa viscosité et ses qualités hygroscopiques créent un effet barrière sur la plaie et lui confèrent une grande capacité d’absorption de l’eau. Il crée ainsi un environnement favorable à la cicatrisation des tissus. Le miel a d’autres cordes à son arc, comme la capacité de stimuler les facteurs de croissance des bourgeons, au point même qu’on observe parfois des hyperbourgeonnements ! En pratique, j’utilise le miel en séquentiel pendant une quinzaine de jours, pas plus car il est parfois trop efficace avec des hyperbourgeonnements. De manière générale, le miel stimule la cicatrisation et possède un effet anti-inflammatoire et antiseptique certain.
TLM : Tous les miels se valent-ils dans cette indication ?
Dre Cécile Moisan : Non, puisque le pouvoir du miel va dépendre des fleurs butinées par les abeilles. Pour éviter tout risque de contamination, on utilise exclusivement des miels médicaux pour connaître leur origine. Ces derniers sont produits par des abeilles évoluant en atmosphère fermée et sont stérilisés aux rayons gamma avant d’être utilisés. Encore méconnue en France — notamment par le manque d’études comparatives prospectives qui sont particulièrement difficiles à mettre en œuvre en l’espèce —, l’utilisation du miel comme cicatrisant naturel est une pratique courante dans d’autres pays comme les Etats-Unis.
Propos recueillis
par Romy Dagorne ■