• Pr Dominique Brémond-Gignac : Circonscrire la myopie par tous les moyens !

Dominique Brémond-Gignac

Discipline : Ophtalmologie

Date : 10/04/2024


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Face à la progression exponentielle de la myopie dans le monde (50 % de la population à l’horizon 2050 !), il est urgent de s’appuyer sur des mesures de prévention et sur les dispositifs de freination destinés aux plus jeunes, recommande le Pr Dominique Brémond-Gignac, chef du service d’Ophtalmologie pédiatrique, hôpital Necker à Paris.

 

TLM : En quoi la myopie constitue-telle un problème de santé publique ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : Ce problème est de plus en plus important. Pas seulement parce que la myopie impose de porter des lunettes, mais surtout parce qu’elle augmente le risque de complications oculaires dont certaines sont cécitantes. Dans le monde, il existe une vraie pandémie de myopie qui a démarré en Asie. A Singapour ou en Corée, 90 % des adultes jeunes sont myopes. Et 10 % souffrent de myopie forte et sont donc à haut risque de complications. Selon des projections récentes, 50 % de la population européenne sera myope en 2050. Un milliard de personnes dans le monde souffriront d’une myopie forte. En France, il y aurait environ 40 % d’enfants myopes, même s’il est difficile d’avoir des statistiques précises. Une étude récente conduite par le Pr Nicolas Leveziel du CHU de Poitiers a montré que la myopie progresse à partir de l’âge de six ans, s’aggrave à l’adolescence et cesse d’évoluer vers l’âge de 20-25 ans, le plus souvent.

 

TLM : Quelles sont les conséquences de cette évolution épidémiologique ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : Le fait d’être myope constitue une perte de qualité de vie. Le port de lunettes est compliqué pour les enfants, ce qui impacte leur scolarité et la pratique du sport. Mais, surtout, les myopes sont à risque accru de complications oculaires et notamment de décollement de rétine, risque qui augmente avec l’importance de la myopie. Les personnes souffrant de myopie ont aussi un risque accru de maculopathie myopique qui augmente avec la sévérité de la myopie, avec une atteinte centrale de la rétine. D’autres complications sont également plus fréquentes en cas de myopie forte : cataracte précoce, glaucome, strabismes particuliers. Il faut donc tout faire pour lutter contre la myopie chez les enfants.

 

TLM : Comment expliquer l’augmentation de la myopie partout dans le monde ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : Cette évolution s’explique par des modifications de comportements. Les enfants sont de plus en plus usagers d’écrans. Je vois en consultation des nourrissons de moins d’un an déjà affairés à regarder des dessins animés sur un smartphone ! C’est un problème car les écrans sollicitent la vision de près. Il faudrait ne pas les y exposer avant l’âge de deux ou trois ans. De surcroît, les enfants sont de moins en moins à l’extérieur, alors qu’ils devraient passer au moins deux heures par jour au dehors exposés à la lumière du jour. Dernier point important : les enfants aujourd’hui se couchent plus tard, et à des heures irrégulières. Cela perturbe le cycle de la mélatonine qui a un impact sur la vision.

 

TLM : A quel âge recommandez-vous de pratiquer un dépistage de la myopie chez l’enfant ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : Le dépistage précoce de la myopie est fondamental. Dépistée tard et non corrigée, la myopie évolue plus vite. La Société mondiale d’ophtalmologie pédiatrique recommande un dépistage systématique dès l’école maternelle. Des dépistages réguliers de la vue sont prévus à 7 jours, puis à 2, 4, 9, 24 mois. En pratique, ils ne sont que rarement effectués pleinement. En fait, la myopie démarre en général plus tard, vers 5-6 ans. Et c’est à partir de cet âge qu’il faudrait un dépistage annuel de la myopie. Ce dépistage est d’autant plus important qu’il existe aujourd’hui des stratégies pour freiner la myopie, lorsque celle-ci est évolutive.

 

TLM : Comment, précisément, freiner la myopie ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : D’abord, certaines mesures de prévention doivent être recommandées. Dès le plus jeune âge il faut éviter de surstimuler la vision de près. Le temps passé devant les écrans doit être restreint. Il est nécessaire de réduire le temps passé en vision de près, y compris lors des devoirs. Il faut apprendre aux enfants à éloigner, autant que faire se peut, les livres, les cahiers, les écrans, leur suggérer de lever les yeux régulièrement de leur travail de près pour regarder au loin quelques instants. Les parents doivent encourager l’activité en extérieur au moins deux heures par jour. Enfin, le fait de coucher les enfants à heures régulières, avant 20h30 et plus tôt, est un facteur de prévention.

 

TLM : Quels moyens existe-t-il aujourd’hui pour limiter l’évolution de la myopie ?

Pr Dominique Brémond-Gignac : Il existe actuellement un arsenal thérapeutique important pour freiner la myopie. Les traitements optiques reposent sur le principe de la défocalisation. Sont désormais disponibles des verres correcteurs défocalisants. Ceux-ci envoient une partie de la lumière en avant de la rétine, adressant ainsi un signal d’arrêt à la croissance de l’œil myope. Ces verres défocalisants « antimyopie » peuvent être portés dès l’âge de 4-5 ans. Ils sont faciles à accepter et permettent une freination de la myopie de 60 %. Attention, tous les verres défocalisants ne se valent pas. Certains ont fait l’objet d’études robustes démontrant leur efficacité pour freiner la myopie, tandis que d’autres ont peu ou n’ont pas du tout été évalués. Il existe aussi des lentilles basées sur le même principe de « défocalisation optique ». Elles sont utilisables dès 8-10 ans, en particulier pour l’enfant sportif, s’il est capable de respecter des règles rigoureuses d’utilisation, d’hygiène et d’entretien. Sont également disponibles des lentilles rigides dites orthokératologiques à porter seulement la nuit et à retirer le matin, qui ne nécessitent pas de porter des lunettes dans la journée. Elles corrigent la myopie et la freinent en effectuant un remodelage de la cornée pendant la nuit. Elles sont majoritairement réservées aux adolescents. Un traitement médical au long cours, basé sur l’atropine microdosée, à la dose d’une goutte par jour dans chaque œil myope, est une approche intéressante et simple avec peu d’effets secondaires. Toutes ces techniques sont efficaces et permettent de freiner la myopie de 50 à 60 %, en moyenne. Une nouvelle stratégie en cours d’évaluation repose sur l’exposition à la lumière rouge. Des premières études ont été réalisées en Chine. Un essai démarre à l’hôpital Necker. Il s’agit d’exposer l’enfant deux fois par jour pendant trois minutes à la lumière rouge, avec un appareil à domicile. Tous ces traitements peuvent, si nécessaire, se combiner.

Propos recueillis

par le Dr Martine Raynal

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