• Pre Camille Jung : Appréhender le vécu des enfants APLV par un suivi à long terme

Camille Jung

Discipline : Pédiatrie

Date : 10/04/2024


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Si le diagnostic de l’APLV (allergie aux protéines de lait de vache) demeure complexe au regard de la non-spécificité du tableau clinique, les cas de surdiagnostic ne sont pas rares, exposant de fait les enfants à des régimes restrictifs parfois inutiles. L’étude OLAF (Observatoire Lait Allergie France) est une étude inédite en France qui vise à mieux cerner la réalité de l’APLV en vie réelle.

Le point avec la Pre Camille Jung, gastropédiatre au sein du Centre hospitalier intercommunal de Créteil (CHIC).

 

TLM : Comment définir l’APLV et quels en sont les principaux types ?

Pre Camille Jung : L’APLV est une allergie aux protéines de lait de vache qui se déclare au cours des premières semaines, voire des premiers mois de vie du nourrisson. Les protéines de lait de vache sont un des allergènes les plus fréquents en pédiatrie. On distingue classiquement deux formes d’APLV : l’APLV IgE-médiée et l’APLV non IgE-médiée, le SEIPA (syndrome d’entérocolite induit par les protéines alimentaires) étant une autre forme particulière d’APLV non IgE-médiée, beaucoup plus rare. En tout état de cause, l’APLV doit être différenciée de l’intolérance au sucre lactose qui n’est pas une allergie.

 

TLM : Quels sont les signes et symptômes de l’APLV ?

Pre Camille Jung : Les signes cliniques de l’APLV IgE-médiée sont relativement typiques et d’apparition rapide après l’ingestion des protéines de lait de vache. On retrouve parmi les symptômes des manifestations cutanées (prurit, urticaire, érythème…), des manifestations ORL, digestives (vomissements, diarrhées, douleurs abdominales) ou encore respiratoires. Les formes les plus sévères se manifestent par une réaction aiguë, l’anaphylaxie associant dyspnée, wheezing, choc... A l’inverse, l’APLV non IgE-médiée entraîne des réactions de type retardé avec un intervalle pouvant aller jusqu’à plusieurs jours après la consommation de protéines de lait de vache. Ici les symptômes sont très peu spécifiques, par exemple : présence de sang dans les selles du nourrisson, diarrhée chronique, mauvaise prise de poids, reflux gastro-œsophagien atypique ou encore refus alimentaire. Un eczéma sévère peut y être associé.

 

TLM : Comment s’établit le diagnostic ?

Pre Camille Jung : Avec un éventail de tableaux cliniques et des manifestations qui peuvent être immédiates ou chroniques, l’APLV peut parfois dérouter. Mais, heureusement, pour la forme IgE médiée, nous disposons de moyens diagnostiques qui reposent sur la positivité du prick-test, en concordance avec l’histoire clinique, et le dosage des IgE spécifiques. A l’inverse, nous ne disposons pas de tests biologiques qui permettent de poser un diagnostic pour les formes IgE non-médiées. Le diagnostic est d’autant plus difficile que les manifestations ne sont pas concomitantes avec l’ingestion de protéines de lait de vache. Dans cette situation, les prick-tests sont négatifs. En cas de suspicion clinique, le diagnostic ne pourra être posé qu’après un test d’éviction puis de réintroduction deux à quatre semaines plus tard. Malheureusement, ce dernier test n’est pas toujours réalisé. Si la forme non IgE-médiée est une forme fréquente de diagnostic, elle est probablement surestimée puisque nous ne disposons d’aucun élément biologique de certitude et que les tests d’éviction/réintroduction ne sont souvent pas proposés ou acceptés par les familles.

 

TLM : Mais alors, comment en connaître la prévalence ?

Pre Camille Jung : Si la prévalence des formes IgE-médiées varie dans la littérature, elle avoisine les 2 % des nourrissons dans la première année de vie. Compte tenu du surdiagnostic très probable des formes non IgE-médiées, il n’est pas évident d’estimer la prévalence mais elle doit être de l’ordre de 5 à 7 %, peut-être moins. Avoir une idée plus précise de cette prévalence est un des objectifs de l’étude OLAF.

 

TLM : Quelle a été la genèse de l’étude OLAF ?

Pre Camille Jung : La question était de pouvoir mieux caractériser les APLV qui peuvent être suspectées mais pas toujours prouvées. En effet, nous observons une réelle discordance entre les données publiées dans la littérature médicale sur le sujet et les prescriptions de formules infantiles d’hydrolysats poussés de lait notamment. La question est donc de savoir ce qu’il en est en vie réelle.

 

TLM : Quels sont les objectifs de cette étude ?

Pre Camille Jung : L’objectif principal de cette étude est de décrire la population d’enfants APLV en France en vie réelle. Les objectifs secondaires sont de décrire l’expression des symptômes dans les différentes formes d’APLV (IgE-médiées, non-IgE médiées et mixtes), de décrire et suivre les différents phénotypes, d’estimer l’âge de réintroduction par forme d’allergie et l’âge d’acquisition de la tolérance, ainsi que de déterminer les facteurs prédictifs de l’APLV. Enfin, au cours du suivi, il s’agira de décrire l’impact sur les apports nutritionnels et les troubles alimentaires, les complications de l’APLV mais aussi l’évolution de la qualité de vie des enfants et de leurs parents.

 

TLM : Concrètement comment ça se passe ?

Pre Camille Jung : C’est une première en France. Cet observatoire au recrutement large et au suivi à long terme a pour ambition d’aider les praticiens à mieux appréhender la prise en soins et le suivi des nourrissons APLV. 3 000 nourrissons de moins de huit mois nouvellement diagnostiqués APLV (forme IgE, non-IgE et mixtes) vont être recrutés en ville ou à l’hôpital sur une période de 36 mois et seront suivis pendant cinq ans dans le cadre de l’accompagnement médical habituel, avec une première formule de substitution, Pepticate Syneo. Le début du recrutement des médecins investigateurs était prévu pour février 2024. Et les résultats définitifs sont donc attendus pour 2029, mais nous bénéficierons d’analyses intermédiaires d’ici-là.

Propos recueillis

par Marie Ruelleux

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